Histoire de Compagnie des Indes orientales

Une histoire en trois temps

Inspirée par la pensée mercantiliste de Jean-Baptiste Colbert, la Compagnie royale des Indes orientales a été fondée pour que la France puisse rivaliser avec les puissances maritimes européennes. Mais son histoire en trois temps ne sera pas un long fleuve tranquille…


La Compagnie des Indes orientales dite de Colbert (1664-1719)

Au XVIIe siècle, la France entend concurrencer les Compagnies des Indes anglaise et néerlandaise, créées en 1600 et en 1602, et obtenir le monopole du commerce avec l’Asie. La déclaration royale du 27 août 1664 annonce la couleur : instaurée par Colbert sous le règne de Louis XIV, la Compagnie des Indes aura « droit de propriété sur les terres occupées, droit de justice souveraine, droit de battre monnaie, d’armer des navires de guerre et de commerce, droit d’esclavage ». Le champ d’action s’étend des côtes d’Afrique au Japon, en incluant Madagascar et les Mascareignes, les côtes de la mer Rouge, de Malabar et de Coromandel, le Bengale et la Chine.

Si Bayonne et Le Havre ont été d’abord envisagés, le site de Port-Louis dans la rade de Lorient est retenu pour installer les infrastructures de l’entreprise coloniale. Née d’une initiative politique, la Compagnie trouve peu de soutien de la part des marchands lyonnais, rouennais, bordelais et nantais ce qui explique son relatif insuccès et sa difficulté à lever des fonds propres.

Privilégiant le modèle hollandais, la Compagnie essaye de s’implanter le long des routes commerciales : en propre à Fort Dauphin (Madagascar) ou par le biais de loges, des comptoirs commerciaux, comme à Surate, le grand port de l’Empire moghol en 1669 ou à Masulipatam. En 1673, l’expédition de l’escadre De La Haye à Ceylan et à Saint-Thomé aboutit à la cession par un prince indigène du territoire de Pondichéry sur la côte de Coromandel.

Les Français s’essayent aussi au commerce d’Inde en Inde mais leurs initiatives en particulier avec le roi de Siam qu’ils essayent de convertir tournent au fiasco : il ne faut pas mélanger les genres. En 1693, la guerre de la Ligue d’Augsbourg oblige les Français à céder Pondichéry aux Néerlandais tandis que la guerre de Succession d’Espagne achève de ruiner la Compagnie.

Cette dernière et son monopole est reprise par un consortium de marchands malouins. Ces derniers la cède au banquier et spéculateur écossais John Law qui la fusionna avec les compagnies de Chine et d’Occident, l’adossa à la Banque royale, jusqu’à la faillite de l’ensemble miné par la spéculation et la mauvaise gestion en 1721.

Carte géographique des Indes orientales

Entre temps, la France a récupéré le contrôle de Pondichéry en 1700 et en a fait le chef-lieu des établissements de commerce français en Inde où siège le Conseil supérieur et le gouverneur. La ville connait un essor important fondé sur le commerce d’Inde en Inde et du négoce des épices et des cotonnades à destination de la métropole. S’appuyant sur le savoir-faire et les capitaux de courtiers indiens, les Français de la Compagnie des Indes tissent des liens précieux avec les souverains régionaux pour obtenir des droits et des concessions territoriales.

Les marchands français s’appuient sur une douzaine de loges ou de comptoirs de commerce en Inde, dont les cinq principaux sont Pondichéry et Karikal, sur la côte de Coromandel, dans le sud-est de la péninsule ; Yanaon, plus au nord, dans l’actuel Orissa ; Chandernagor, au Bengale, sur la côte nord-est de l’Inde ; et enfin Mahé, au Kérala, sur la côte sud-ouest.

Dès la fin du XVIIe siècle se développe aussi le commerce avec la Chine, laquelle produit et vend des marchandises de très grande réputation : soieries, porcelaine, thé... Mais le commerce avec l’Occident est limité par l’empereur Qianlong qui impose aux Européens de n’accoster qu’à Canton. Dans ce contexte peu favorables, les marchands français limitent leur activité à la différence de leurs concurrents anglais.


La Compagnie perpétuelle des Indes (1719-1769)

Allégée d’une bonne partie de ses dettes après la faillite, la Compagnie doit se réorganiser. Sous l’impulsion du Contrôleur général Philibert Orry, elle se recentre sur les Indes et ouvre à la concurrence l’Afrique et l’Amérique, elle restructure sa direction pléthorique en réduisant à six le nombre de directeurs et enfin elle ouvre largement son capital à l’aristocratie française pour s’en faire une alliée.

Les directeurs se recrutent parmi les banquiers actionnaires, puis les armateurs et représentants des grands ports français, enfin les anciens collaborateurs de la Compagnie ayant fait leur carrière outre-mer à l’image de Benoit Dumas qui fut successivement conseiller à Pondichéry, gouverneur des îles de France et de Bourbon puis gouverneur de Pondichéry. A la direction de la Compagnie ils doivent faire avec l’inspecteur ou commissaire, représentant du roi dont les intérêts ne sont pas exclusivement commerciaux ce qui n’est pas sans poser des problèmes.

Pendant ce temps, aux Indes, Joseph Dupleix, un jeune marchand audacieux, se lie avec les princes hindous et tente de bâtir rien moins qu’un protectorat français aux Indes. Il jette les bases d’un véritable empire colonial français au grand déplaisir des directeurs de la Compagnie.

Dupleix, gouverneur de Pondichery, compagnie française des Indes orientales
Dupleix, gouverneur de Pondichery, compagnie française des Indes orientales

Il profite toutefois de l’engouement des Européens pour les produits manufacturés indiens, en particulier les cotonnades. Les artisans indiens savent en effet tisser des toiles entièrement en coton et maîtrisent également à la perfection les coloris. Ces toiles que l’on appelle des indiennes ont tant de succès qu'elles portent préjudice aux tisserands européens.

Afin de garantir aux comptoirs des revenus stables fondés sur une assise territoriale solide tout en contenant la concurrence croissante des Anglais de Madras, Dupleix s’engage dans une stratégie d’alliances avec les souverains de l’Inde du Sud en intervenant dans leurs guerres dynastiques. Mais il affronte aussi frontalement les Anglais de Madras, affrontement qui trouve son point culminant avec la prise de Madras en 1746 grâce au soutien décisif de Mahé de La Bourdonnais.

Abandonné par Louis XIV occupé ailleurs, Dupleix est finalement rappelé en France, laissant le champ libre aux Anglais de la East India Company pendant qu’en France, la contestation grandissante des privilèges et en particulier des compagnies à monopole, aboutit à la suspension de la Compagnie perpétuelle des Indes et à l’ouverture du commerce vers l’Asie.


La Compagnie des indes orientales dite de Calonne (1785-1793)

Dans ce contexte peu favorable, le contrôleur général du royaume de France, Charles-Alexandre de Calonne, fonde en 1785 une nouvelle Compagnie des Indes qui, contrairement aux précédentes, n'obtient pas de pouvoir civil et militaire dans ses comptoirs, ni ne dispose de l'ensemble des infrastructures du port de Lorient, confiées à la Marine royale.


Port de Lorient, Compagnie des Indes orientales

Cette compagnie, soutenue cette fois par les marchands qui apportent des capitaux venus d’Europe entière (Suisse, Pays-Bas) permettant d’organiser des expéditions importantes sur une base régulière, coopère également avec l’East India Company en particulier en matière bancaire.

La Compagnie prospère, mais dans des proportions qui n’ont rien de comparable avec celles de l’East India Company ou de la VOC néerlandaise. Elle est aussi concurrencée en France par des marchands de Bordeaux, Marseille ou Lorient qui n’hésitent pas à passer par des pavillons tiers pour faire leurs affaires.

En avril 1790, l’Assemblée nationale décrète l’ouverture du commerce au-delà du cap de Bonne-Espérance à tous les Français privant ainsi la Compagnie de son dernier monopole. Recentrée sur sept comptoirs (Pondichéry, Yanaon, Mahé, Canton, Surat, l’Isle de France et l'Île de la Réunion), la Compagnie continue à faire des affaires.

Le coup de grâce est donné en 1793 lorsque Cambon fait supprimer la Compagnie des Indes. La liquidation des actifs donne lieu à un dernier psychodrame : soupçonnés de corruption, neuf administrateurs et syndics de la Compagnie des Indes sont arrêtés et certains seront même guillotinés.