Un article pour comprendre la plus grande catastrophe des temps historiques: l’éruption du Laki en Islande

Voyage en Islande
Presse islandaise
Blason d'Islande

L’été de tous les dangers

Cette année-là [1783], les gaz émis lors d’éruptions volcaniques en Islande furent à l’origine de dérèglements aux conséquences dramatiques.

“Le 8 juin 1783, par une claire matinée de Pentecôte, un épais nuage de sable apparut au nord des montagnes. La nuée était si vaste qu’elle recouvrit rapidement toute la région, et si épaisse qu’elle obscurcit complètement le ciel. Cette nuit-là, de violentes secousses sismiques se firent ressentir.” Ainsi commence le récit du pasteur luthérien Jon Steingrimsson, témoignant de l’un des dérèglements climatiques les plus spectaculaires de l’histoire de l’humanité dans la région de Sida, dans le sud de l’Islande. A 9 heures ce matin-là, la terre s’ouvrit sur une longueur de 25 kilomètres, formant une fissure appelée volcan de Laki. Au cours des huit mois suivants, le Laki déversa près de 15 kilomètres cubes de lave – un record historique absolu.

Il existe deux types d’éruption volcanique : l’explosive et l’effusive. La première est la mieux connue. Elle dégage le plus de puissance. C’est ce genre d’éruption qui a causé la destruction de Pompéi. L’énergie dégagée lors de ce type de phénomène projette les gaz et les cendres volcaniques loin dans la stratosphère (deuxième couche de l’atmosphère), où ils absorbent les radiations solaires et provoquent un abaissement des températures terrestres jusqu’à la dissipation de ce voile, deux ou trois ans plus tard. C’est ainsi que l’éruption du Krakatoa [côte ouest de Java], en 1883, a donné lieu à des chutes de neige record dans le monde entier.

Les éruptions effusives sont différentes. Moins spectaculaires, elles produisent davantage de rejets. Le volcan de Laki a libéré 80 fois plus de gaz que l’éruption du mont Saint Helens en 1980, pourtant bien plus violente. Dégageant moins de puissance, l’éruption du Laki n’a pu projeter les trois quarts de ces gaz que jusqu’à la couche inférieure de l’atmosphère (la troposphère), où circulent les pluies, les nuages et les vents de surface. Ces gaz contenaient d’énormes quantités de dioxyde de soufre. Au plus fort de l’éruption, le Laki a libéré en deux jours autant de gaz que toute l’industrie européenne en un an actuellement. Une partie de ces gaz s’est dissoute dans la vapeur d’eau des nuages pour former de l’acide sulfurique. En quelques heures, le Laki avait donné naissance à un vaste nuage de pluie acide qui s’abattit sur les côtes sud de l’Islande. En temps normal, les vents dominants auraient dû pousser ce nuage toxique vers le nord, en direction du cercle polaire. Mais l’été 1783 n’était pas un été normal. Un solide front de hautes pressions s’était installé sur le nord-est de l’Europe, attirant les vents et le nuage de Laki vers le sud-est, vers le continent européen.

La suite des événements est connue en détail grâce à la lecture de journaux intimes – très en vogue à la fin du XVIIIe siècle chez les nouveaux lettrés des classes moyennes – et grâce au développement de la presse, même dans les petites villes. Le 10 juin, Sæmundur Magnusson Holm, de l’université de Copenhague, écrivait qu’une pluie de cendres noires avait recouvert le pont et les voiles des navires arrivant au Danemark.

Le nuage toxique se répandit jusqu’en Asie centrale

Six jours plus tard, Anton Strnadt notait qu’un brouillard sec s’était étendu sur la rivière Vltava, à Prague, tandis que Nicolas von Beguelin faisait état de sa première apparition à Berlin quelques jours plus tard. A la date du 18 juin, les vents semblaient avoir dispersé la nuée au sud et à l’ouest. Dans le nord de la France, à Laon, le botaniste Robert de Lamanon écrivait que “le nuage [était] froid et humide, avec un vent venant du sud, et on [pouvait] facilement observer le Soleil au télescope, sans lentille noire”. Il rapportait également que le nuage avait fait son apparition le même jour à Paris, Turin et Padoue, où Giuseppe Toaldo notait que tout le nord de l’Italie était recouvert par une nuée sentant le soufre. Le 26 juin, le grand mathématicien suisse Leonhard Euler rapportait la présence d’un “nuage sec” au-dessus de Saint-Pétersbourg. Enfin, le 1er juillet, le géologue Ivan Michaelovitch Renovantz, qui avait observé des gelées exceptionnelles en Asie centrale, signalait l’arrivée du nuage à Bagdad et dans les montagnes de l’Altaï.

Pendant ce temps, le nuage s’était épaissi en Europe. La première éruption du volcan Laki avait été suivie de deux autres, plus violentes, le 11 et le 14 juin. En tout, le volcan a connu 10 éruptions entre le 8 juin et la fin du mois d’octobre 1783, suivies d’une série de grondements qui ne devaient s’éteindre qu’en février 1784. En s’approchant des côtes occidentales européennes, le nuage avait été aspiré par un vortex descendant vers la terre, créant ainsi un épais voile nuageux en surface. Au milieu de l’été, le “brouillard sec” était bien installé au-dessus de l’Europe, où il devait rester jusqu’à l’automne. C’est un naturaliste français qui fut le premier à relier l’apparition du nuage toxique à l’activité volcanique en Islande, lors d’une conférence à Montpellier, le 7 août 1783. Partout, des hommes cultivés ont laissé des descriptions détaillées du nuage, parlant de l’aspect inhabituel du Soleil, du dessèchement des arbres et de l’herbe et de l’état des récoltes et du bétail. A la fin du mois d’octobre, la dernière grande éruption du Laki était passée et le nuage commençait à se dissiper, dispersé par les vents automnaux.

Le nuage avait disparu, mais pas ses effets. Parmi les gaz libérés lors de l’éruption, le fluor retomba rapidement sous forme d’acide fluorhydrique. En Islande, le résultat fut terrible. “La chair des chevaux a complètement fondu, écrit Jon Steingrims¬son. Les moutons sont encore plus gravement touchés. Pas une partie de leur corps n’est épargnée par les gonflements, notamment les mâchoires, où de larges protubérances apparaissent sous la peau. Quant aux os et aux cartilages, ils sont aussi mous que du papier mâché.” En tout, les trois quarts des moutons et la moitié des chevaux et des bovins islandais disparurent et près d’un quart de la population islandaise mourut de faim. Dans toute l’Europe, l’été 1783 fut exceptionnel. Le Royaume-Uni atteignit des records de chaleur jamais battus jusqu’en 1995. Cette chaleur était peut-être due à un effet de serre à court terme lié aux fortes concentrations de dioxyde de soufre dans l’atmosphère.

Une éruption en Europe provoque la famine au Japon

Il se peut également que ce n’ait été qu’une variation naturelle. Une chose est sûre : dans les hautes couches de l’atmosphère, les gaz libérés lors de l’éruption ont continué de réfléchir une partie du rayonnement solaire même après que le nuage se fut dissipé en surface. Les hivers qui suivirent l’éruption du Laki furent terriblement froids. En 1784, les températures en Europe furent en moyenne de deux degrés inférieures à la moyenne de la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Au-delà des frontières de l’Europe, l’éruption du Laki semble avoir eu des répercussions majeures dans des pays très éloignés. L’effet de dispersion du rayonnement solaire, causé par la présence de gaz dans les couches supérieures de l’atmosphère, provoqua une réduction de l’énergie solaire atteignant la surface de la Terre. Ce faisant, les relations entre les températures des couches supérieures et inférieures de l’atmosphère s’en trouvèrent perturbées, ainsi que celles des pôles et de l’équateur. Or il s’agit là des mécanismes fondamentaux du climat mondial. Ces dérèglements affaiblirent le courant-jet occidental, puis les moussons et le climat de tout l’hémisphère Nord.

La côte est des Etats-Unis connut un de ses hivers les plus longs et les plus rigoureux, affichant des températures inférieures en moyenne de cinq degrés par rapport aux normales saisonnières. Le Japon connut l’une des pires famines de son histoire entre 1783 et 1786, où un froid exceptionnel détruisit les récoltes de riz. Près de 1 million de Japonais moururent de faim. L’analyse de coupes de troncs d’arbres provenant de l’Oural, de la péninsule de Iamal, en Sibérie, et d’Alaska a révélé que ces régions du Nord avaient connu leur hiver le plus froid depuis quatre cents ou cinq cents ans. Sur le continent africain, le régime des pluies fut gravement perturbé et le débit du Nil se trouva diminué d’un cinquième, tandis que celui du Niger l’était de plus d’un dixième.

Rétrospectivement, l’éruption du volcan Laki semble apporter certaines vérités sur le changement climatique, et notamment celle que l’émission de gaz polluants peut affecter de manière significative la courbe des températures (en l’occurrence en l’abaissant et non en la faisant grimper). The Economist Mortel En Angleterre, les registres paroissiaux révèlent un pic de mortalité en juillet et août 1783 alors que l’été est traditionnellement une période de faible mortalité dans les sociétés agricoles. Cette année-là, l’Angleterre a compté 23 000 morts supplémentaires par rapport à la moyenne habituelle, soit presque le double. En France, près de 5 % de la population aurait péri pendant cette période, notamment de jeunes hommes et femmes travaillant dans les champs et respirant un air pollué sous une chaleur écrasante.

The Economist
© 21/8/2008 - Courrier international #929

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