Brésil

Histoire du cycle de l'or au Minas Gérais

« C'est plus qu'un succès national pour le Brésil et le Portugal, quand on découvre de l'or dans la province de Minas Geraes. C'est un événement mondial qui a exercé une influence décisive sur la structure économique de la société d'alors. (.) En cet instant du monde, pendant cinquante ans, le Brésil est la fabrique de monnaie de l'ancien monde, et la colonie la plus productive, la plus enviée qu'un Etat européen puisse posséder. On dirait que le rêve des conquistadores s'est réalisé et que le légendaire Eldorado a été découvert.

(.) Le premier acte se passe, juste avant 1700, dans une vallée de Minas Geraes qui n'est encore à ce moment rien d'autre que de l'humus sans hommes, sans villes, sans chemins. Un beau jour, de Taubate, une petite colonie de Paulistas, quelques hommes, à cheval ou à mulet partent vers les collines, que le petit Rio de Velhas traverse de ses courbes et ses méandres. (.) Et c'est la trouvaille inattendue : l'un d'eux, sans qu'on sache s'il avait été secrètement informé ou si c'est par pur hasard, découvre dans le sable les premiers grains flottants et les rapporte dans une bouteille à Rio-de-Janeiro. Et comme toujours, le premier regard sur ce métal mystérieux et couleur d'envie suffit pour provoquer une migration sauvage. 

(.) Une activité fébrile s'est emparée brusquement de ce pays tranquille et presque endormi. Mais c'est une mauvaise fièvre, comme toujours, la fièvre de l'or. Elle excite les nerfs, elle chauffe le sang, elle fait les yeux avides et les sens troublés. Bientôt, ce sont des batailles exaspérées.

(.) Second acte : un nouveau gouverneur de premier plan fait son entrée, le gouverneur portugais, représentant les droits de la Couronne. Il est venu exercer sa surveillance sur la province nouvellement découverte et, surtout, pour s'assurer du droit du cinquième qui revient au Roi : il est suivi de soldats et de dragons à cheval, pour faire respecter l'ordre. On établit une « monnaie » où tout l'or découvert doit être apporté pour être fondu afin qu'un contrôle précis puisse s'établir.

(.) L'une après l'autre, dans la petite région minière, de vastes villes se développent, Villa Rica, Villa Real et Villa Albuquerque qui, dans leurs huttes et dans leurs maisons de boue hâtivement construites, rassemblent cent mille personnes, plus que New York et plus que n'importe quelle ville américaine à cette époque.

(.) Le troisième acte de cette tragi-comédie de l'or se passe environ soixante-dix ans plus tard et amène la tragique conclusion. La première scène se passe à Villa Rica et à Villa Real, identiques et pourtant différentes. Le paysage n'a pas changé avec ses montagnes nues ou vert sombre, avec son fleuve se frayant sans hâte un chemin par les vallées étroites. Mais la ville est changée ; de puissantes églises, hautes et claires, richement ornées à l'intérieur de tableaux et de sculptures se dressent sur les collines.

(.) Le fleuve coule et écume toujours, en ramenant sur les rives les cailloux et le sable qu'il entraîne dans son cours, mais on peut secouer le sable tant qu'on voudra dans les cribles, et le laver et le relaver, ce n'est plus que du sable sans valeur. (.) L'or du Rio das Velhas n'avait été que de l'or flottant, de l'or de surface et il est épuisé à présent.

(.) Et voilà le tournant : Villa Rica est devenue Villa Pobre, la ville pauvre. »
 

Stefan Zweig, Le Brésil, terre d'avenir